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#8
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LE COMBAT ALGÉRIEN
À l’homme le plus pauvre à celui qui va demi-nu sous le soleil dans le vent la pluie ou la neige à celui qui depuis sa naissance n’a jamais eu le ventre plein On ne peut cependant ôter ni son nom ni la chanson de sa langue natale ni ses souvenirs ni ses rêves On ne peut l’arracher à sa patrie ni lui arracher sa patrie. Pauvre affamé nu il est riche malgré tout de son nom d’une patrie terrestre son domaine et d’un trésor de fables et d’images que la langue des aïeux porte en son flux comme un fleuve porte la vie. Aux Algériens on a tout pris la patrie avec le nom le langage avec les divines sentences de sagesse qui règlent la marche de l’homme depuis le berceau jusqu’à la tombe la terre avec les blés les sources avec les jardins le pain de bouche et le pain de l’âme l’honneur la grâce de vivre comme enfant de Dieu frère des hommes sous le soleil dans le vent la pluie et la neige. On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine on les a faits orphelins on les a faits prisonniers d’un présent sans mémoire et sans avenir les exilant parmi leurs tombes de la terre des ancêtres de leur histoire de leur langage et de la liberté. Ainsi réduits à merci courbés dans la cendre sous le gant du maître colonial il semblait à ce dernier que son destin allait s’accomplir que l’Algérien en avait oublié son nom son langage et l’antique souche humaine qui reverdissait libre sous le soleil dans le vent la pluie et la neige en lui. Mais on peut affamer les corps on peut battre les volontés mater la fierté la plus dure sur l’enclume du mépris On ne peut assécher les sources profondes où l’âme orpheline par mille radicelles invisibles suce le lait de la liberté. On avait prononcé les plus hautes paroles de fraternité on avait fait les plus saintes promesses. Algériens, disait-on, à défaut d’une patrie naturelle perdue voici la patrie la plus belle la France chevelue de forêts profondes hérissées de cheminées d’usines lourde de gloire de travaux et de villes de sanctuaires toute dorée de moissons immenses ondulant au vent de l’Histoire comme la mer Algériens, disait-on, acceptez le plus royal des dons ce langage le plus doux le plus limpide et le plus juste vêtement de l’esprit. Mais on leur a pris la patrie de leurs pères on ne les a pas reçus à la table de la France Longue fut l’épreuve du mensonge et de la promesse non tenue d’une espérance inassouvie longue amère trempée dans les sueurs de l’attente déçue dans l’enfer de la parole trahie dans le sang des révoltes écrasées comme vendanges d’hommes. Alors vint une grande saison de l’histoire portant dans ses flancs une cargaison d’enfants indomptés qui parlèrent un nouveau langage et le tonnerre d’une fureur sacrée on ne nous trahira plus on ne nous mentira plus on ne nous fera pas prendre des vessies peintes de bleu de blanc et de rouge pour les lanternes de la liberté nous voulons habiter notre nom vivre ou mourir sur notre terre mère nous ne voulons pas d’une patrie marâtre et des riches reliefs de ses festins. Nous voulons la patrie de nos pères la langue de nos pères la mélodie de nos songes et de nos chants sur nos berceaux et sur nos tombes Nous ne voulons plus errer en exil dans le présent sans mémoire et sans avenir Ici et maintenant nous voulons libres à jamais sous le soleil dans le vent la pluie ou la neige notre patrie : l’Algérie. Jean Amrouche Paris, juin 1958 |
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