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Vieux 13/06/2011, 21h40
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Et l’on comprend dès lors que Camus ne voulait pas de ce voyage au Brésil parce qu’il ne voulait pas de cette rencontre « posthume » « avec cet ami mort sans savoir » (Les carnets) Il ne restait plus qu’à poursuivre la prospection de manière à confirmer ou infirmer cette hypothèse, qui est de savoir si oui ou non Camus avait entre les mains Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig.

Et comment cela se pouvait-il puisque cette nouvelle a été publiée à titre posthume, soit deux ans après la publication de L’étranger de Camus ? Dans le but d’une objectivité sans failles, nous avons lu l’ensemble de l’œuvre de Zweig, celle traduite en français.

Quatre nouvelles ont retenu notre attention.
Les trois premières ont été regroupées en un seul volume intitulé Amok, la quatrième Vingt quatre heures de la vie d’une femme, a été publiée à part, selon la volonté de son auteur.

Amok, recueil de trois nouvelles a été écrit par Zweig au début du XXe siècle et publié en langue française à Paris, en 1927. Les trois nouvelles dont il s’agit sont : Amok ou le fou de Malaisie, Lettre d’une inconnue et Ruelle au clair de lune.
Dans ces quatre nouvelles, Zweig adopte « une forme, celle qui s’apparente au récit dans le récit » (Romain Roland). Camus n’a pas fait autre chose dans L’étranger. Ceci pour ne pas dire qu’il a fait la même chose.




Dans cette nouvelle, comme dans Le joueur d’échecs, le narrateur est un étranger. Il fera beaucoup de choses en similitude avec Meursault.



Nous retrouvons dans Amok ou Le fou de Malaisie, comme ce fut le cas dans Le joueur d’échecs, l’interversion du jour et de la nuit.
- « Finalement, j’intervertis résolument l’ordre des temps et je descendis dans la cabine dès l’après-midi, après m’être étourdi avec quelques verres de bière, afin de pouvoir dormir pendant que les autres dînaient et dansaient. » (Zweig p.27)
L’Etranger de Zweig restait donc éveillé la nuit et dormait le jour. Lorsqu’il se réveillait, il guettait le bruit. Meursault dit la même chose dans L’Etranger : « C’est pourquoi, j’ai fini par ne plus dormir qu’un peu dans mes journées et, tout le long de mes nuits, j’ai attendu patiemment que la lumière naisse sur la vitre du ciel... » (Camus p172) Il est fort probable (pour une question de date) que Camus ait fait l’emprunt de Amok ou le fou de Malaisie, plutôt que de la nouvelle Le joueur d’échecs.

Mais cela ne nous empêche pas de maintenir la suspision selon laquelle Camus aurait eu en sa possession la dernière nouvelle de Zweig et l’aurait utilisée dans la construction de L’Etranger.

Nous verrons plus loin pourquoi. C’est ensuite la répétition d’un mot dans la même phrase.

L’Etranger de Zweig dit ou plutôt a le même malin plaisir de répéter plusieurs fois le même mot tout comme Céleste l’un des amis de Meursault : L’Etranger de Zweig :
- « Trois fois il redit la phrase. Cette façon sourde et obtuse de répéter les choses me fit frissonner : Le devoir... de montrer quelque bonne volonté... Le devoir d’essayer... Vous pensez donc, vous aussi, qu’on a quelque devoir... Qu’on a le devoir d’offrir sa bonne volonté.. » (Zweig p.36) Céleste dans L’Etranger de Camus :
- « Pour moi, c’est un malheur. Un malheur. Un malheur, tout le monde sait ce que sait, ça vous laisse sans défense. Et bien ! pour moi c’est un malheur. » (Camus p.142) Il y a enfin le cercueil de la morte. Le premier chapitre de L’Etranger est consacré au décès et à l’enterrement de la mère.
Si la nouvelle de Zweig ne commence pas avec le cercueil, c’est avec lui qu’elle se termine. Ce dernier lui donne cette note finale, lugubre et des plus inattendues : le cercueil qui s’ouvre et le cadavre qui tombe dans l’eau.
Une « chute » impressionnante qui rappelle le bruit que fait le corps de la femme en tombant dans l’eau. Histoire racontée par Clamence dans La chute d’Albert Camus. Il y a ici emprunt et nous verrons plus loin que dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Zweig, cette histoire de la femme qui se jette d’un pont est exactement racontée de la même manière par les deux auteurs.
Mais revenons à ce cercueil afin de rappeler cette phrase écrite par Camus dans l’avion qui le ramenait de Rio vers Paris et qui laissa les camusiens médusés : « Le voyage se termine dans un cercueil métallique entre un médecin fou et un diplomate » (les carnets).

Dans Amok ou le fou de Malaisie, un médecin fou qui avait refusé de pratiquer l’avortement sur une femme, qui mourut des suites de cet acte pratiqué par quelqu’un d’autre et dans de mauvaises conditions se retrouve dans un bateau en partance pour l’Angleterre.

C’est avec effroi qu’il découvre que le cercueil de la morte ainsi que le mari de la défunte, qui est diplomate, sont aussi du voyage. Une nuit, alors que le bateau accoste à Naples, les marins transbordent un drôle d’engin, le cercueil...
Soudain, ce dernier s’ouvre et le cadavre de la femme tombe dans l’eau. C’est la chute ( !) Il n’y a aucun doute, en écrivant cette phrase, au retour du Brésil, Camus nommait clairement la nouvelle de Zweig, Amok ou le fou de Malaisie.


A suivre
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