Afficher un message
  #3  
Vieux 13/06/2011, 21h40
Avatar de Icerfan
Icerfan Icerfan est déconnecté
Werisem
 
Date d'inscription: mai 2011
Messages: 2 017
Par défaut


Ruelle au clair de lune

Un navire accoste dans une ville, un étranger descend. « Il doit attendre en un lieu étranger... Il se sentait ici étranger ».
Il assassine une prostituée.
Cette femme est tuée avec un couteau.

Regardons de près ce qu’écrit Zweig : « Un éclat de métal brilla dans sa main : je ne pus distinguer de loin si c’était de l’argent ou bien le couteau qui, au clair de lune, luisait perfidement entre ses doigts. » (p.187)

Voyons à présent ce qu’écrit Camus : « L’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté au soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. » (p 61 à 62) Chez Zweig, c’est le clair de lune qui reflète sur le couteau. Chez Camus, c’est le soleil.



Lettre d’une inconnue

C’est l’histoire d’une femme qui, à un moment donné de sa vie, a une relation amoureuse passagère avec un homme. Elle se retrouve enceinte et garde le secret.
Quelques années plus tard, cet homme reçoit une lettre volumineuse. Intrigué, il l’ouvre et se met à lire.
C’est une confession.

Rappelons que La chute de Camus est aussi une confession. Cette lettre commence par : « Mon enfant est mort hier... » L’Etranger de Camus commence par cette phrase qui a ému le monde entier : « Aujourd’hui maman est morte ».
« Cela ne veut rien dire », peut-être. Tout un chacun peut commencer un roman ou une lettre avec une phrase similaire.


Vingt-quatre heures de la vie d’une femme
« Cette nouvelle dont Gorki a pu dire qu’il lui semblait n’avoir rien lu d’aussi profond » (signé A. H. Préface à l’œuvre) Ici aussi, le héros est l’étranger, ainsi toujours nommé par Zweig dans tous ses récits.
Cet étranger n’a pas de nom, ici comme ailleurs, il est toujours sans identité.

Les héros de Zweig subissent l’oppression (jeu du hasard, prostitution, adultère...) dans une ville étrangère, ils rencontrent des étrangers... Ils sont sans identité.
Dans cette nouvelle de Zweig, Vingt quatre heures de la vie d’une femme, l’étranger est un joueur de casino. Au début de l’ouvrage, l’auteur raconte l’histoire d’une femme, Henriette, qui voit sa vie basculer en vingt quatre heures. En effet, cette dernière a un coup de foudre pour un bel inconnu. Ce sentiment de folie soudaine l’empêche d’être maîtresse d’elle-même. En effet, elle suit cet étranger laissant derrière elle un époux éploré et deux fillettes hébétées qui ont perdu leur maman.

Alors que le lecteur s’attend à trouver dans les pages suivantes la suite de l’histoire, c’est alors un autre récit qui apparaît supplantant l’autre, le récit dans le récit.
Tout comme dans L’Etranger d’Albert Camus.
Alors que le lecteur s’attend au procès de l’assassin de l’Arabe, c’est alors le procès du fils indigne. L’affaire d’Henriette est vite oubliée et c’est alors le secret d’une vieille dame anglaise qui intéresse le narrateur. Cette Anglaise, veuve à quarante-deux ans et riche, est en vacances sur la croisette. Au casino, elle est fascinée par un jeune joueur. Mais c’est davantage l’expression changeante qui se dégage du visage du joueur en fonction de la victoire ou de l’échec qui laisse la femme figée à le regarder. Le jeune homme laisse sa fortune sur le tapis vert. Il sort du casino dans un état lamentable, l’Anglaise qui n’avait plus le contrôle sur elle-même le suit, prise dans un tourbillon de folie, sa vie va virer de bord en vingt-quatre heures à cause d’un étranger.
N’est-ce pas à cause d’un étranger que Meursault voit sa vie basculer en vingt-quatre heures ?
Il ne connaissait pas l’Arabe, il ne l’avait jamais vu auparavant, il ne l’avait pas menacé personnellement et pourtant c’est lui qui fera feu à la place de son ami Raymond que l’affaire pourtant concernait de près, l’Arabe étant le frère de sa maîtresse.

C’est dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme (p. 62 à 63) que Zweig raconte l’histoire d’une femme qui se jette d’un pont. Camus la racontera exactement de la même manière dans La chute. Par ailleurs, l’Anglaise est dans le même état d’âme que celui de Meursault après l’assassinat de l’Arabe lorsqu’il prend conscience que tout s’effondre autour de lui.
L’Anglaise se rend compte que tout s’effondre autour du joueur, en perdant au jeu, il perd aussi son honneur. Il perd son âme. Malgré tout ce qu’elle fera pour l’aider et le sauver de sa passion du jeu, le jeune homme revient vers le tapis vert. Rappelons que le vert est l’espoir pour Meursault qui s’interroge dans sa cellule.
A ce niveau, rappelons aussi qu’une partie des chiffres de L’étranger est relative au jeu du casino. Plus tard, l’Anglaise apprendra que le jeune homme s’est suicidé. Elle restera impassible à l’annonce de la nouvelle, aussi froide et indifférente que le furent les personnages des autres nouvelles de Zweig et aussi froid et indifférent que le fut Meursault devant le cercueil de sa mère.

Comme nous venons de le constater, il y a emprunt, mais pourquoi Camus en est-il arrivé là ? Camus n’était pas, bien sûr, à court d’inspiration, la preuve en est. Car pour imaginer une histoire comme celle de Meursault, il ne faut pas seulement avoir des idées et de la suite dans les idées. Cette construction diabolique n’a pu germer que dans l’esprit d’un génie, un homme hors catégorie ! Il n’y a ici aucune philosophie de l’absurde, ce roman hors normes est une construction, mais est-il une création ?
Réponse avec citation