Discussion: Slimane Azem
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Vieux 13/06/2011, 21h51
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Slimane Azem, dit Dda Slimane, est né le 19 septembre 1918 dans le village d'Aït Agouni Gueghrane, (littéralement : Ait : ceux du, Agouni : lieu Ghe : qui ghrane : a brûlé ) en grande Kabylie, au pied de la Djurdjura.
Fils d'un modeste cultivateur, il connaît une enfance relativement heureuse, entouré de cinq frères et deux sœurs. Il est scolarisé à l'âge de six ans. Il suit l'école durant cinq ans, mais rien ne semble l'y intéresser, sinon la rêverie et les fables de La Fontaine. Le jeudi et le dimanche, il garde les bêtes, et constitue avec ses camarades une petite troupe qui s'accompagne avec des flûtes de roseaux et des tambours. Elle joue les airs du pays, et chante des poèmes de Si Mohand. On dit aussi qu'il s'était fabriqué une petite guitare.

En 1929, à l'âge de onze ans, Slimane Azem est embauché par des colons français comme ouvrier agricole. Malgré son jeune âge, il doit assumer la même charge de travail que les autres ouvriers. Cette vie pénible le fait songer à l'exil en France. En 1937, il rejoint son frère, Ouali, à Longwy, en France dans le bassin minier. Il travaille pendant deux ans dans une aciérie comme manœuvre. Il vit avec son frère, et en 1938, il achète une mandoline, qui lui permet de se remémorer les airs traditionnels. En 1939, il est mobilisé à Issoudun, durant la "drôle de guerre". Incorporé dans les tirailleurs algériens, il parvient à se faire réformer, lui qui déteste profondément l'armée. Après la défaite, il se déclare réfractaire au service du travail volontaire imposé par les Allemands. Ceci lui vaut une déportation en camps de travail en Rhénanie (STO(1)), où il retrouve son frère Ouali. Les conditions de vie dans ces camps sont très dures. Il est libéré par les troupes américaines en 1945.

Revenu à Paris, il prend la gérance d'un café dans le quinzième arrondissement de Paris. Il s'y produit avec un petit orchestre constitué avec des compatriotes au retour d'Allemagne, et chante les chansons traditionnelles du pays pour réchauffer le cœur de ses compatriotes immigrés. Un jour, le très grand artiste algérien Mohammed Elkamal l'entend. Il le pousse à composer et lui apprend les bases du métier. Sa première chanson "Amoh Amoh" subjugue son public à tel point que nombreux sont ceux qui réclament le disque chez le seul disquaire spécialisé dans la musique algérienne de l'époque, Madame Sauviat.

En 1947, il rentre en Algérie, dans son village natal. Il écrit et monte une pièce de théâtre. Son premier disque, en 1948, est édité à compte d'auteur. Il s'agit de Ma tseddoudh anrouh, plus connu sous le titre A Moh a Moh.

Madame Sauviat, qui a reconnu son très grand talent, le présente à différentes compagnies de disques à son retour à Paris. En 1950, il signe chez Pathé Marconi. Il connaît alors le succès. Pour un temps, il partage son temps entre son public français et des séjours dans sa Kabylie natale, pour lui source d'inspiration.

Ses textes s'inspirent de la poésie kabyle traditionnelle, et donnent lieu à de multiples interprétations. Ils sont d'une très grande profondeur. Slimane Azem dira "J'ai toujours été en but à l'incompréhension des autorités politiques qui se contentent souvent de la première interprétation venue pour me faire un procès d'opinion". Cette phrase est prémonitoire.

Durant la guerre d'Algérie, dans une chanson, il compare le colonialisme au fléau des sauterelles, ce qui lui vaut une condamnation des autorités françaises et l'oblige à un retour en Algérie. A l'indépendance de cette dernière, Slimane Azem est victime d'une accusation injuste. Des détracteurs utilisent ce retour pour le calomnier, prétendant que ce village s'était rallié aux intérêts français. Il doit quitter l'Algérie avec sa famille. Sa chanson "A moh a moh Taqsit bw umqarqur" (l'histoire du crapaud), lui vaut d`être interdit d`antenne à la Chaîne II en langue kabyle de la radio algérienne de 1967 jusqu`à 1989(2). Cette chanson critique les dirigeants de la république algérienne.

Slimane Azem vit alors une vie stable en France. Six mois de l'année, il vit dans sa ferme de Moissac. En paysan kabyle, il cultive ses tomates, veille sur ses poiriers, figuiers et oliviers qu'il a fait apporter de sa montagne natale. Il en profite pour composer. Les six mois restant, il les passe en tournée et en sessions de studio. Il tourne dans toute l'Europe, et ses disques connaissent le succès. En 1970, il recueille même un disque d'or.

Slimane Azem se revendique heureux. Pourtant, il supporte de plus en plus mal cet exil, loin de l'Algérie, qu'il vit à raison comme une terrible injustice. Ceci ne l'empêche pas de dire : "Je préfère être un algérien à l'étranger qu'étranger dans mon propre pays".

Victime d'un cancer, il s'éteint le 28 janvier 1982 dans sa petite ferme de Moissac.

L'œuvre de Slimane Azem est considérable. Il laisse plusieurs dizaines d'albums, et plus de 400 chansons, d'une qualité musicale et poétique incomparable. Il est considéré à juste titre comme l'un des plus grands chanteurs et poète kabyle du vingtième siècle. Il est un modèle de sincérité et d'intégrité, lui qui n'a jamais cédé à aucune mode ni à aucun pouvoir. Son oeuvre traite de l'exil, du déchirement et de la condition du peuple kabyle. Il fut un ardent défenseur de sa langue maternelle, tha Kvaylith(3). Elle reste dans le cœur de tous les Kabyles.

Pour les jeunes générations, il serait enchanteur de redécouvrir cet artiste afin de se réapproprier son message, entièrement fondé sur la sagesse traditionnelle. Les plus grands artistes kabyles, tel Matoub Lounés et Lounis Ait Menguellet se sont revendiqués de son inspiration.

Pour donner un exemple de la profondeur de ces chansons, nous vous donnons ici la traduction de l'une d'entre elles :

"Rester ou s'en aller" :

"Rester ou s’en aller…

S’en aller ou rester…



Refrain :

Mon cœur, pourtant, réfléchit

S’il doit rester ou s’en aller

S’il doit s’en aller ou rester ;

Ni il s’en est allé ni il est resté,

Ni il est resté ni il s’est en allé.

Sa maladie s’est installée ancienne,

Et sa vie, le malheureux, tient à un fil.



Il m’a demandé conseil. Je lui ai dit de rester

Alors que lui voulait s’en aller ;

Je lui ai dit, alors de s’en aller

Alors que lui voulait rester.

Je lui ai dit de s’en aller, il voulait rester :

Je lui ai dit de rester, il voulait s’en aller.

S’il avait un guide il resterait ou s’en irait.



J’attends s’il change de pensée,

S’il reste ou s’il s’en va.

Je lui ai alors dit de rester,

Il me répond c’est alors à toi de t’en aller.

Quand je lui dis de s’en aller, il veut rester :

Quand je lui dis de rester, il veut s’en aller.

Quand je le conseille, que je parle ou je me tais,

Il ne sait s’il doit rester ou s’en aller.



Il s’en est allé un jour mais en pensée

Il est revenu avant d’être parti.

Notre droit n’a rien réglé ni décidé,

Notre chance est petite.

Si je m’en allais, il veut rester

Si je veux rester, il veut s’en aller

Tandis que je demeure perplexe

Lui saigne de ses blessures. "

(Traduction : Ablemalek Sayad).

Discographie :

CD et K7 disponibles à notre connaissance :

Le fabuliste, CD, 1994.

Iya ouiyak Ahmed, K7.

Meltiyid matchfam, CD, 1996.

Tizi Ouzou (avec Nourredine ), K7, 1996.

Ya mohand emliyi (Rappelez-moi si vous vous souvenez), CD, 1997.

Idhared Ouagour (L'apparition du croissant de lune), CD, 2001.

Dha ghriv dha Varani (Il est immigré, il est étranger en Algérie et en France), K7.

Idrimen (l'argent), K7.

Taksite boumkorkor (Histoire du crapaud), K7.

Khem aboudhnek, avec Fatma Zohra, K7.

Lalla mergaza (Mademoiselle homme), K7.

Madame, encore à boire, CD.

Thamourthiw azizen, (Mon pays, ma Kabylie chérie ), K7.

Yekfa laman, (La confiance est terminée), K7.

A notre connaissance indisponible :

Thamazigth, K7, 1995.

Slimane Azem et Nourredine, K7, 1995.

Ddunit akka itelha (Ainsi va le monde), K7, 1995.

Slimane Azem, K7, 1996.

Ah ! luka atezred, K7.

Dnukni id nukni, K7, 1995.

Slimane Azem à l'Olympia (2 volumes), K7, 1996.

La plus grande partie de l'œuvre de Silmane Azem n'est disponible qu'en cassette, donc sur un support audio de faible qualité. Qui plus est, une bonne partie de celle-ci dont Thamazigth, un des sommets de son art, n'est plus disponible. Ceci est à notre avis inadmissible.

http://perso.wanadoo.fr/michel.behag...sique/azem.htm
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