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Icerfan 13/06/2011 11h24

Tahar Djaout - Le Dernier été de la raison - Extraits
 
Les livres ont formé le terreau où la vie de Boualem s'est développée, à tel point que ses mains livresques et ses mains charnelles, son corps de papier et son corps de sang s'imbriquent et s'emmêlent bien souvent. Boualem lui-même a fini par ne plus bien faire la distinction. Il a connu dans les livres tellement de personnages, il a côtoyé tellement de destins inoubliables que sa vie ne serait rien sans eux. C'est un peu au contact de la vie et beaucoup au contact des livres que des idées ont germé en lui, que des idéaux ont pris racine, que des sensations voluptueuses et des ondes de joie ou de colère ont parcouru son corps frémissant, y laissant des traces durables.

[...]

Les livres -leur proximité, leur contact, leur odeur et leur contenu - constituent le refuge le plus sûr contre ce monde de l'horreur. C'est le plus agréable et le plus subtil moyen de voyager vers une planète plus clémente. Comment Boualem continuera-t-il à vivre, maintenant qu'on l'a séparé des livres, sa plus revigorante substance ? Il est comme une plante arrachée au terreau, séparée de la sève et de la lumière, ses deux éléments vitaux. On l'a exclu des livres. On l'a exilé de tous les repères de son enfance : les valeurs piétinées, les symboles dévoyés, les espaces défigurés et saccagés.


Tahar Djaout
Le Dernier été de la raison

Icerfan 13/06/2011 11h24

L'enfance revient comme un reflux, le submerge, le livre, pieds et poings liés, aux tortures de la mémoire.

Caresser le temps à rebrousse-poils. Marcher en claudiquant sur ses propres traces. Quels paysages de ruines on arpente mais aussi quelles sèves et quels rêves, soudain réveillés, crépitent sous nos pas comme des cosses qui ont trop longtemps contenu leurs fruits !

Un enfant entêté vous poursuit, un enfant à jamais blessé qui vous reproche - mais sans paroles - de l'avoir abandonné dans les méandres du temps, toile d'araignée meurtrière dont il reste prisonnier.

L'enfant tend les mains vers vous, implore votre mansuétude. Car il ne comprend pas votre impuissance. Il ne comprend pas que vous aussi êtes prisonnier à l'autre bout du temps qui vous entraîne sans rémission vers la laideur et l'anéantissement. L'enfant et vous êtes contraints au divorce déchirant, à la séparation sans recours.

Mais, parfois, le miracle et l'enchantement se liguant, l'enfant et vous vous rejoignez.


Tahar Djaout
Le Dernier été de la raison

Icerfan 13/06/2011 11h25

Nous sommes ce corps émietté qui, au fil des jours et des ans, laisse des lambeaux à chaque obstacle, se dénude et s'atrophie jusqu'à se présenter décharné et impotent, presque momifié, devant la force dévastatrice, la massue pesante du temps qui l'achève, devant la chute vertigineuse dans la nuit, dans l'absolu du néant.

Tahar Djaout
Le Dernier été de la raison

Icerfan 13/06/2011 11h25

On n'a pas encore chassé de ce pays la douce tristesse léguée par chaque jour qui nous abandonne. Mais le cours du temps s'est comme affolé, et il est difficile de jurer du visage du lendemain.

Le printemps reviendra-t-il ?


Tahar Djaout
Le Dernier été de la raison


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