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Icerfan 13/06/2011 11h26

Tahar Djaout - L'Invention du désert - Extraits
 
Il y a toujours dans le groupe en marche (en fuite?) un jeune homme à l'esprit délétère qui porte, en plus du poids du ciel affalé sur le désert, une peine supplémentaire – dans les couloirs de sa tête des milliers de battements d'ailes, des pâturages sans limites, des filles aux lèvres fruitières.

Il connaît déjà la mer, la vastitude de l'eau dansante et l'écartèlement des rivages. Une solitude l'enveloppe, lui tisse une aura d'étrangeté, l'exclut de la caravane.

C'est pourtant à lui de trouver l'eau, la parole qui revigore, c'est à lui de révéler le territoire – de l'inventer au besoin.

C'est à lui de relater l'errance, de déjouer les pièges de l'aphasie, de tendre l'oreille aux chuchotements, de nommer les terres traversées.


Tahar Djaout
L'Invention du désert

Icerfan 13/06/2011 11h26

Le désir t'assaille quand même de fixer pour le souvenir le temps qui s''éternise ; d'écrire, de parler, de gesticuler. Ne serait-ce que pour aider le rouage des heures à s'enclencher. Tu sais que le risque est grand de voir la lumière tout... raturer, de voir le feu gagner papier et corps pour en faire une cendre tassée. Tu penses à ta ténacité d'enfant, de celui qui enduisait puis lavait -incessamment- la surface assignait à l'écriture.
[...]
Tu tentes de retrouver cette volonté qui bravait les biffures, la sporadicité de l'écrit. Es-tu assez fort pour recommencer ? pour rebaliser par l'écrit des trajectoires vouées à être blanches ?

Tahar Djaout
L'Invention du désert

Icerfan 13/06/2011 11h26

L'idée à jamais bannie, c'est celle de la fertilité. Elle se briserait dérisoirement contre ce monde qui clame de toutes parts la pierre et la cendre souveraines. Aucune force (terre, eau, verdure) ne travaille. Aucun cycle, aucun mouvement ne prépare en profondeur le mystère d'une éclosion. Aucune mue en attente ou en opération. Assoupissement souverain. Rouages scellés, au repos. L'irréparable, consommé. Une force aveugle qui déshabille. Aden est une ville où l'attente ne se teinte d'aucun frisson.

Tahar Djaout
L'Invention du désert

Icerfan 13/06/2011 11h27

Un jour le temps m'arracha à tout cela. Matin gris froid des vrais départs. L'angoisse se creusait un chemin vers mon âme. Moi, j'essayais de fuir à reculons vers l'enfance. J'escomptais y déceler des embellies pour égayer l'hiver de vivre j'escomptais y trouver la clef pour rendre sa liberté à cet enfant qui étouffait en moi et qui réclamait à grands cris de sortir. On se donne l'illusion de revivre en entreprenant des voyages à rebours, mais on ne fait, en vérité, que rendre sa mort plus imminente. Car quel cimetière que le passé ! C'est comme un champ de fouilles d'où ne remontent en surface que des objets funéraires. Tu deviens ainsi l'archéologue de ton passé ; mais toi tu ne te leurres pas : tu sais que l'archéologie est avant tout la science des nécrophages.

Tahar Djaout
L'Invention du désert

Icerfan 13/06/2011 11h27

Il ne reste même pas une mémoire intacte où se reposer des voyages. Tout a subi la déflagration du temps et les avaries du naufrage.
Le temps est un inexorable percepteur, il prélève sur la vie les éléments les plus essentiels. Il a commencé par m'exproprier de l'enfant blessé mais heureux, puis il a gommé les couleurs des saisons. Il ne reste qu'un champ de ruine qu'il faut relever par le rêve et l'utopie de l'écriture.

Tahar Djaout
L'Invention du désert

Icerfan 13/06/2011 11h27

Revenir sur les chemins de l'enfance est un pèlerinage trop douloureux. Cela doit être le propre des gens que le présent rejette. Les gens heureux n'ont ni âge, ni mémoire, ils n'ont pas besoin du passé. Moi, j'aimais voyager dans ma tête mais les vrais déplacements me faisaient peur. J'ai réalisé maintes fugues, mais je suis chaque fois revenu pour trouver une odeur, un coin de maison ou un visage sans quoi je ne saurais vivre. J'ai vécu rivé à des fantômes intraitables debout dans cette déchirure de l'enfance que le temps n'est jamais arrivé à combler.

Tahar Djaout
L'Invention du désert

Icerfan 13/06/2011 11h27

Le monde a l'air de s'arrêter ici. Y a-t-il un endroit où puisse être plus tenaillante l'impression de solitude, de nudité et d'inutilité ? L'impression d'une fin qui dure éternellement ; pas une graduelle agonie, mais une fin bel et bien consommée, un cadavre qui refuse de disparaître pour laisser les rites de la vie reprendre leur cours.

Tahar Djaout
L'Invention du désert


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