Kateb Yacine
 

« Éternelle sacrifiée, la femme dès sa naissance est accueillie sans joie. Quand les filles se succèdent (…), cette naissance devient une malédiction. Jusqu'à son mariage, c'est une bombe à retardement qui met en danger l'honneur patriarcal. Elle sera donc recluse et vivra une vie secrète dans le monde souterrain des femmes. On n'entend pas la voix des femmes. C'est à peine un murmure. Le plus souvent c'est le silence. Un silence orageux. Car ce silence engendre le don de la parole.»


Kateb Yacine
J'ai vu l'étoile qui n'a brillé qu'une fois
In Le Monde
Paris
4 avril 1984

« La question des femmes dans l'histoire m'a toujours frappé. Je crois que tous les Algériens savent plus ou moins obscurément ce que sont les femmes, au moins en tant que mères, et qu'ils les respectent. Mais ça s'arrête là. Pourquoi ? Parce que nous sommes plongés dans le monde arabo-islamique et que dans ce monde, les femmes deviennent des étrangères à partir de l'âge de la puberté () A un moment, ça devient totalement inconnu. Nous perdons le contact avec le monde des femmes ».



"La Kahina ou Dihya, Saout Ennissa"

Extrait de LES JUMEAUX DE NEDJMA de Benamar MEDIENE


Je suis né quand j'avais seize ans, le 8 mai 1945.
Puis je fus tué fictivement auprès de vrais cadavres et auprès de ma mère qui s'est enfuie pour se cacher, pour toujours, dans une cellule d'un hôpital psychiatrique.

Je suis né à nouveau avec Nedjma. Je me suis divisé. Je change de souffrance quand celle qui m'accable devient insupportable.

Je retourne à Nedjma, à l'archaïque commencement des choses et des mots pour réparer les déchirures, les violences et les divisions du temps.

J'aime Nedjma d'un amour douloureux. Je l'aime même si je n'ai aps accompli mon amour dans les frénésies adolescentes.

Je suis heureux de mon malheur parce que je l'écris dans le chaos des mots à devenir fou...

Il me faut, à chaque fois, pousser les limites jusqu'aux confins de la folie et en revenir chancelant mais indemne, pour recommencer l'épreuve. J'écris les yeux fermés et dans la souffrance, comme on vient au monde.

Mon adolescence est restée en la Femme Sauvage et mon enfance est restée à ma mère. Plus tard ans les moments de néant, coupé de mes ancêtres et de mes contemporains, la tête blanche au dedans, j'ai voulu mourir.

C'est toujours en des résurgences douloureuses que je reprends souffle, retrouvant par miracle, en des lieux mythiques ou réels, mon enfance et mon adolescence...
[...]

Aujourd'hui j'ai moins de vingt ans et je voudrais vivre jusqu'à quarante et quand j'en aurais quarante, ils era toujours temps de falsifier l'état civil.

Les Ancêtres nous ont prédit que lorsque sonneront les dernières heures de la tribu, l'aigle noble et puissant devra céder la place à l'oiseau de la mort et de la défaite. Mais peu importe. Notre totem demeure. C'est un oiseau intraitable.

Kateb Yacine
La poudre d'intelligence